Une école de plein air au 2 boulevard Bessières

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A la fin de la Grande guerre, pour lutter contre les maux qui s’abattent sur les écoliers entassés dans des lieux clos à la limite de l’insalubrité – et en premier lieu la tuberculose  –, on construira des écoles de plein air. La première – et la seule à être édifiée dans la capitale – le sera dans le XVIIe Bd Bessières.

 

La France des années qu’on dit Folles, celle de 1920, n’en finit pas de compter ses morts – 1 400 000 tués dans les terrifiantes batailles de la Marne, de Verdun ou de la Somme, soit 27 % des hommes de 18 à 35 ans. Combien de rescapés devenus fous de leurs cauchemars et de leur gueule cassée ? Et toutes ces veuves, et tous ces orphelins ? Et la grippe espagnole qui a fauché un nombre incroyable de jeunes vies ? Pour que cette guerre soit la « der des der », on pense à l’avenir, à la santé, à la protection de la jeunesse.

Mais surtout de la jeunesse la plus fragile, celle que menace cette plaie toujours mortelle : la tuberculose.

Une meilleure santé des enfants

Le 5 avril 1920, le Figaro, dans un article, salue le projet de construction de la première Ecole de Plein Air : on construira en ville des bâtiments aérés avec de grandes cours pour une meilleure santé des enfants. « Depuis combien de temps se plaint-on de l’étroitesse, de l’incommodité, du manque d’air des locaux scolaires ? », interpelle le journaliste. Et de souligner que l’on voit depuis trop longtemps de malheureux écoliers qui s’entassent dans des lieux clos, malsains, qui respirent un air vicié, plein de poussière, fleurant le remugle, s’ébattant dans des cours froides et sans verdure.

On apprend en même temps que la municipalité du XVIIe arrondissement décide de construire de nouveaux locaux scolaires, des bâtiments réalisés avec bonheur et sagesse, avec des verrières comme des grandes cages de verre, entourés de jardins, de préaux couverts. Les maîtres feront la classe en plein air. La première Ecole de Plein Air de la Capitale est créée dans le XVIIe arrondissement. Si c’est la seule école de ce type construite à Paris même, on en trouve néanmoins dans d’autres communes du département de la Seine d’alors (Saint-Ouen, Vitry, Suresnes).

Des réflexions sur l’hygiène aux théories sur l’hygiénisme

L’idée des Ecoles de Plein Air n’est pas nouvelle. La montée des mouvements socialistes en Europe, à la fin du XIXe siècle conduit à des réflexions sur l’hygiène qui donneront naissance à la théorie de l’hygiénisme : les malades peuvent être traités par une exposition au soleil car il a une action bactéricide et par un air sain.

La première école qui facilite l’apprentissage en plein air ouvre à Lyon en 1906, mais il y en a d’autres en Allemagne, en Grande Bretagne, aux Pays-Bas, en Italie comme l’écrit le Journal des Femmes de France, en 1912 suggérant qu’on pourrait en construire une sur le même modèle quand les fortifications parisiennes, enfin déclassées, fourniront des emplacements que l’on pourra affecter à des installations analogues.

Dans un numéro de la revue « l’Hygiène de plein air » de 1921, le Docteur Marchoux (1869-1943), biologiste, spécialiste des épidémies, médecin, pionnier de l’approche moderne de la lèpre, membre de l’Académie Nationale de Médecine présente une étude dans laquelle il évoque combien il a été frappé par une statistique alarmante montrant une forte mortalité infantile attribuée au manque d’hygiène. Aussi on décide d’accorder une attention spéciale aux enfants fragiles, leur donnant à la fois soin et enseignement, leur transmettant de solides habitudes d’hygiène. C’est à l’école qu’incombe cette éducation, pas aux parents impossibles à réformer.

 

L’air entre à flots à l’école

Pour lutter contre ce fléau, il propose « l’Air à l’Ecole » et dessine l’école idéale : « L’école idéale de plein air doit être installée à la périphérie des villes, dans un endroit découvert, largement aéré, écarté des usines et des endroits insalubres ».

Pourtant, les Epinettes faisaient partie des 17 ilots insalubres recensés à la veille de la Première guerre mondiale. On avait pu y dénombrer nombre d’appartements surpeuplés, de cas d’alcoolisme et de tuberculose. Cette école idéale exige un terrain vaste, parsemé de bouquets d’arbres et, si possible, disposé en pente légère du côté du midi.

C’est ainsi que, le 21 octobre 1921, est inaugurée à l’emplacement d’un bastion démoli des fortifications, pas loin de l’hôpital Bichat, la première Ecole de Plein Air (au départ une initiative privée reprise par la Ville). L’évènement est rapporté par le Petit Parisien du même jour. Il y a du beau monde, M. Autrand, préfet de la Seine, accompagné de M. Marin, président du Conseil Général et Frédéric Brunet, conseiller municipal aux Epinettes, initiateur de l’entreprise.

L’établissement est présenté comme une école modèle. Il comprend un bâtiment d’un étage éclairé de hautes verrières. Une soixantaine d’enfants prédisposés à la tuberculose sont déjà inscrits. M. Autrand fait un beau discours de félicitations honorant Frédéric Brunet et le termine en assurant que la Ville saura consolider et développer l’œuvre entreprise. Si les fortifications sur lesquelles est édifiée l’école sont appelées à disparaître, l’esprit qui a imprégné les organisateurs ne disparaîtra pas et l’on verra bientôt s’ouvrir ailleurs d’autres écoles « où s’élèvera une fortification vivante, la jeunesse française, espoir et trésor de notre pays ».

Une architecture spécifique

Ce n’est pas une école comme les autres, déjà par son architecture spécifique. Comme l’enfant doit être le plus souvent dehors, les cours se font sous les arbres. En cas de mauvais temps, il travaille dans des classes ouvertes par de grandes baies sur toutes les faces. Le bâtiment est construit avec des matériaux légers – le verre ou le bois. Les sols sont lavables et même chauffants, le mobilier est individuel, il faut le moins d’escaliers possible et surtout pas de déplacements en groupes. Une belle cantine est indispensable, surtout pour les enfants venant de loin, qui prennent là un en-cas, à 18 heures, avant de rentrer chez eux.

Une discipline collective s’impose car retrouver une belle santé c’est pour apprendre à vivre en société. Les élèves auront la tâche de participer à l’entretien de l’école. L’inspectrice Générale de l’époque, Mme Fassou, rappelle que les élèves doivent limiter spontanément leur liberté, et par là-même respecter la liberté des autres.

 

L’air et le soleil, fondements des soins

Il convient aussi de savoir compter sur soi. Education morale certes, mais aussi éducation à la santé : l’air et le soleil sont les fondements des soins. On fait prendre des bains de soleil et de grands bols d’air en même temps que de la vitamine A et de la vitamine D. L’école fournit des chapeaux protecteurs et légers contre le soleil. On fait beaucoup de culture physique. On prend une douche tous les jours. Et, souvent, on recherche les poux et les punaises…

En effet, cette école municipale obéit à un règlement rigoureux.

D’abord en ce qui concerne les conditions d’admission. On veut que ce soit une école comme les autres, normale, pas un centre de soins qui accueillerait des « anormaux physiologiques » (aveugles, sourds muets, bègues), ou des « anormaux pédagogiques » (arriérés, illettrés, indisciplinés, instables, retardés, etc. voir règlement intérieur de l’école).

L’admission des élèves est supervisée par une commission médicale et la durée de séjour de l’enfant correspond au temps demandé par l’amélioration de son état de santé. Les parents n’ont pas de demande à faire pour l’inscription à l’Ecole de Plein Air et on leur épargne les démarches pour la réintégration dans l’école d’origine. On peut visiter l’école tous les jeudis de 10h à 12h et de 14h à 16h.

Une cantine obligatoire où prendre deux repas

L’école est ouverte tous les jours, sauf le dimanche, de 7 heures à 19 heures, heure de sortie des élèves (des retardataires peuvent néanmoins être reçus jusqu’à 8h15).

On a composé deux classes de garçons de 30 élèves chacune : un cours élémentaire et un cours moyen et, en éducation physique, on a constitué un groupe de moyens et un groupe de faibles. La cantine est obligatoire ce qui permet aux enfants de prendre deux repas, un à 11h30 et un autre à 18h. Le pain est donné contre une légère rétribution et les familles doivent fournir une serviette, une serviette de toilette, une brosse à dents et un gant de toilette. La caisse des écoles n’accorde la gratuité des repas qu’aux familles nécessiteuses et octroie des réductions aux familles nombreuses. Une fiche d’emploi du temps est remise aux familles. On a essayé de répartir au mieux les temps de soin, les temps de travail intellectuel, d’exercices physiques, et les moments de repos. Les maîtresses donnent les leçons et les assistantes sanitaires veillent aux soins, recrutées par des médecins inspecteurs des écoles. On dresse des bilans très tôt et on constate que les enfants prennent rapidement du poids et se remettent à grandir vite.

 

Une aventure éducative et des expériences pédagogiques

Mme Jouenne, première directrice de l’Ecole de Plein Air du boulevard Bessières précise ce que fut cette aventure éducative.

Les maîtresses se lancent hardiment dans les expériences pédagogiques. Ainsi, chaque semaine, avec les élèves, elles choisissent un centre d’intérêt en relation avec le programme officiel. Dès le début de l’année on fait une photo de groupe pour donner corps à la classe. Pas plus de trois heures de cours par jour. Chaque matin, les élèves doivent définir la direction du vent, rapporter ce qu’ils ont appris de ce qui se passait dans le monde. Ces jeunes garçons découpent des avions qu’ils affichent. Il leur faut acquérir une perception de l’espace et du temps : un enfant avait amené une vieille  pendule de 1830 trouvée dans une poubelle. La maîtresse leur a alors appris à lire l’heure, puis à faire des opérations de calcul, et elle est passée au cadran solaire, aux mouvements de la terre et du soleil.

Un élève a apporté le lendemain une carte postale des automates de l’horloge de la cathédrale de Strasbourg, et voilà comment les élèves ont été initiés aux mécanismes des engrenages ! On manie les objets, on les touche. On écrit son expérience dans un cahier personnel et on dessine. La directrice a conservé de beaux exemples de poèmes ou d’observations délicates qu’elle évoque avec tendresse. Les bons esprits conservateurs auront de quoi se moquer.

 

Des liens constants entre l’école et la famille

Cette école idéale propose aussi un service d’aide sociale, qui assure des liens constants entre l’école et la famille. Celle-ci peut confier ses problèmes de santé, de logement, de travail et donne parfois des conseils intimes. Ce service fait des démarches pour trouver des places en hôpital ou pour trouver du travail. Il se charge aussi d’inscrire les élèves en apprentissage. Pour Mme Jouanne, on ne peut sauver les enfants sans sauver les familles qu’on initie à la connaissance des soins. Et pas question de placer les enfants à l’Assistance Publique !

Tout semblait aller pour le mieux.  Pourtant, le 27 juin 1949,le Bulletin du Conseil Municipal de Paris publie un vœu tendant à surseoir à la fermeture de l’Ecole de Plein Air du 2 boulevard Bessières sur proposition de M. Lafay, Mme Becourt-Foch, MM Devraigne, Faber et Ferri. Ces derniers s’engagent à prendre toutes mesures utiles pour s’opposer à la fermeture de l’Ecole de Plein Air du 2 boulevard Bessières et à la maintenir ouverte jusqu’au moment où elle pourra être transférée dans un local voisin présentant des conditions de confort et d’hygiène indispensables à des enfants particulièrement déficients, sans aucun arrêt de son activité.

Victime du boom démographique de l’après-seconde guerre mondiale

Bien qu’opposé à la disparition de cette école, le Dr. Lafay ne s’attaque pas aux décisions des services scolaires. Il pourrait être opportun de supprimer cette école compte tenu de la forte croissance démographique de l’après-guerre : en 1938 naissaient à Paris 170 enfants par jour, en 1949, 275. Cela fait pour Paris une génération scolaire de 95 000 enfants au lieu de 60 000 en 1938. La municipalité appréhende de fait les rentrées scolaires 1950-1951, et a constaté que dans l’école  du 2 boulevard Bessières, il y avait des espaces inoccupés, alors que dans d’autres écoles de l’arrondissement presque toutes les classes étaient surchargées.

Les conseillers municipaux, proposent aussi de transporter cette école pas trop loin, sur un terrain disponible, et même de construire une école en préfabriqué ce qui revient à 2 millions de francs par classe, au lieu de 6 millions pour une classe traditionnelle. Surtout qu’une classe en préfabriqué ça se monte, ça se démonte et ça se remonte. La fermeture de cette école expérimentale apparaît donc comme inévitable. Et, surtout, en avril 1949 a été votée une tranche du programme de construction d’habitations à bon marché. 350 appartements seront édifiés à cet emplacement et les travaux devraient commencer en mars ou en avril 1950.

- Pourquoi n’êtes vous pas à l’école ?

- Maman a peur qu’on s’enrhume, ils font la classe dans la cour

 

Quand, en 1949, se tient cette réunion du conseil municipal de Paris, la France n’en n’a pas fini de panser ses blessures. La dernière guerre a fait beaucoup de morts, de veuves et d’orphelins. Il y a eu le terrible traumatisme de l’occupation allemande. Cependant, les Français se sont « retroussé les manches », la reconstruction est en marche et on entre dans la période des Trente Glorieuses. Néanmoins, deux plaies persistent, la première est la tuberculose. Mais les efforts des savants et des médecins depuis le début du XXe siècle ont payé. Tout de suite après la guerre, le vaccin contre la tuberculose, le BCG est au point, on continue à faire campagne contre l’épidémie où l’on voit les enfants des écoles faire du porte à porte pour vendre des timbres antituberculeux.

Timbre antituberculeux de 1948

En 1950, le BCG est rendu obligatoire. Dans toutes les écoles et les entreprises, les médecins surveillent avec vigilance la disparition progressive de la maladie. Subsiste la deuxième plaie : la crise du logement. La France est en plein baby-boom, les Français émigrent des campagnes vers les villes, de grandes villes ont été très bombardées voire rasées. L’hiver glacial de l’année 1954 a mis tous les sans-abri à rude épreuve. L’abbé Pierre alerte l’opinion à la radio par un appel qu’il désigne comme l’insurrection de la Bonté : « Mes amis, au secours, une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée ».

Construire des logements est la première de toutes les urgences. La Ville de Paris fait donc construire des habitations bon marché sur des terrains libres ou à libérer. L’Ecole de Plein Air n’est plus une priorité. A l’emplacement de l’Ecole de Plein Air, en 1954, la ville de Paris fait ériger des immeubles de briques rouges de 7 étages, harmonieusement disposés autour de terrains de jeux en jardin arborés.

Ismérie Ducroquet

Date de publication : 
8 septembre 2021