Plongée dans le Quartier Vert Cavallotti

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La rue Cavallotti aujourd'hui

Entre l’avenue de Clichy et le cimetière de Montmartre, le quartier Cavallotti est un havre de paix. Depuis la rue Cavallotti et ses beaux immeubles jusqu’aux rues perpendiculaires et aux impasses, c’est tout un pan de l’histoire de nos quartiers qu’il est plaisant de découvrir.

 

Entre l’avenue de Clichy et le cimetière Montmartre, le Quartier Vert Cavallotti est un morceau des Batignolles dans le XVIIIe arrondissement : juste au nord de l’enceinte des Fermiers généraux (érigée de 1784 à 1791), il est adossé au cimetière Montmartre inauguré en 1825 qui constitue une véritable barrière physique : de 1830 à 1860, ce quartier en gésine ne relevait pas de la commune de Montmartre mais de Batignolles-Monceau et, aujourd’hui encore, on se rend plus facilement à la mairie du XVIIe qu’à celle du XVIIIe, au commissariat de la rue Truffaut qu’à celui de la rue de Clignancourt.           

                               

Ce quartier est bordé à l’ouest par la Grande rue des Batignolles, route royale de Paris à Rouen, construite sur ses deux rives, rebaptisée avenue de Clichy en 1860 et traversée par le chemin de Monceau à Montmartre, rue des Carrières, devenue en 1875 rue Ganneron. Le lotissement débuta au tout début du XIXe siècle à partir du « hameau des Batignolles » au sud : petits immeubles, maisons, ateliers. Parmi les éléments favorisant le lotissement du secteur, l’interdiction d’exploiter les carrières de gypse après 1860 et la construction du pont Caulaincourt en 1888, après vingt-cinq ans de tergiversations, mettant en relation ce nouveau quartier avec Montmartre.

Année après année, il progressa vers le nord, vers La Fourche. Les vides seront progressivement comblés, de petits bâtiments démolis pour densifier. La rue Cavallotti en est le parfait exemple : étroite voie de desserte en 1877, elle fut calibrée à 12 mètres de large pour construire un ensemble d’immeubles uniformes au tournant du XXe siècle.

C’est dans ce quartier bien délimité que fut aménagé le Quartier Vert Cavalotti, livré en 2005, historiquement le deuxième quartier vert de Paris, une idée lancée par déclic 17/18, reprise par la Ville fin 2001. Son but : réduire la circulation motorisée, élargir les trottoirs, planter. Tout au long des travaux, la concertation fut exemplaire : une époque…

 

« Le père des forêts »

Pénétrons dans ce secteur par la rue Forest ouverte en 1825 sous le nom de rue Capron. Elle oblique brusquement à gauche, le tronçon compris entre le boulevard de Clichy et les n°9 et 10. Classée voie publique en 1908, elle prit vers 1870 le nom de Barthélémy Forest, conseiller municipal du quartier, dénomination étendue au reste de la rue en 1929.

Le père Forest, qui était aussi photographe, y possédait un enclos à demi sauvage où il organisait des tirs à la cible, louant son terrain à la Compagnie des archers de Saint-Pierre de Montmartre. Et aussi une bicoque qu’il laissa à la disposition de Toulouse-Lautrec qui le surnommait « le père des forêts ». Celui-ci y peignit plusieurs portraits qui devinrent célèbres, tel celui de Suzanne Valadon ou de Justine Dieuhl 1891 (musée d’Orsay). En 1897, Forest céda son jardin à une société franco-anglaise qui commanda l’Hippodrome aux architectes Cambon, Galeron et Duray.

Du côté des numéros pairs, un ensemble de bâtiments de style pompidolien, complexe hôtelier de 400 chambres et centre commercial, a été édifié quelques années après la destruction en 1973 du regretté Gaumont-Palace.

Du côté des numéros impairs, s’aligne une série d’immeubles construits dans les années 1870 dont plusieurs hôtels qui, sur l’arrière, ouvrent sur le passage de Clichy.

Dans les années 1950, Georges Simenon pose pour un photographe passage de Clichy. Feignant d’être surpris sous la marquise du Modern Hôtel où il n’a sans doute fait que passer. Déjà, au début des années 1930, Brassaï avait photographié ce passage la nuit. Atmosphère…

A l’entrée de la rue Forest, un immeuble en proue donne sur la place et le passage de Clichy. Dans Antoine et Colette, un moyen métrage de François Truffaut (1962), Antoine Doisnel prend le frais à la fenêtre au-dessus du café Le Florida. Le même Antoine Doisnel, plus jeune de quatre ans, avait tenté de placer au Crédit municipal de la rue Forest une machine à écrire volée. Au coin de la rue Capron, au Bar des studios, un adulte se proposera de jouer les intermédiaires. C’est dans Les 400 coups en 1958 (consulter sur notre site declic1718.org puis Histoire François Truffaut, enfant du quartier de la place Clichy).

 

Une vue spectaculaire

Un peu plus loin, un ensemble de bâtiments industriels de grande hauteur à usage de garage (n°11-13-15) s’étend sur le haut de la rue Capron côtoyant un hôtel particulier Napoléon III et un petit bâtiment arts-déco qui accueillit des studios d’enregistrement. Du sommet de ce bâtiment que l’on remarque de loin, la vue est spectaculaire.

Il abrita d’abord l’établissement de Charles Escoffier, agent Renault. Dans les années 1950, son gendre Jean Redélé (1920-2017), pilote automobile et fils d’un concessionnaire Renault de Dieppe, lui succède. Il agrandit le garage.

Tout à la fois entrepreneur, pilote, constructeur et responsable d'écurie de course, Jean Redélé compte parmi l’un de ces passionnés qui écrivirent l’épopée du sport automobile de la seconde moitié du XXe siècle (voir l’article…).

Ces dernières années, l’entreprise a évolué. Le garage est devenu parking, les premiers niveaux sur la rue Capron sont occupés par une salle de sport. Le dernier niveau accueille des réceptions. 

 

« Chez ma tante »

Sur l’emplacement du réservoir des Batignolles (n°16 répertorié aussi n°2 rue Cavallotti), aménagé en 1837 pour desservir en eau les Batignolles, un bâtiment de qualité fut construit en 1890 par l’architecte Bellot pour héberger une agence du Crédit municipal de Paris pratiquant le prêt sur gage à des fins sociales : accueil du public et vastes entrepôts. Les plans de ce bâtiment tout en acier avaient été présentés à l’Exposition universelle de 1886. Après la fermeture du Crédit municipal, dans les années 1960, la maison de disque Polydor qui avait édité Piaf, Stello, Polaire, Georgius, Danielle Darrieux, Arletty, plus tard Jacqueline François ou Brassens, jusqu’à Mylène Farmer, occupa le bâtiment jusqu’en 1988.

S’installa ensuite une société d’informatique. Puis le bâtiment fut inoccupé pendant des années. Dès 1997, déclic 17/18 attira l’attention de Daniel Vaillant, nouveau maire du XVIIIe sur la nécessité d’ouvrir une école publique dans ce secteur. Cette école maternelle et primaire de 10 classes avec 40 logements étudiants ouvrit en 2005 après la démolition du bâtiment originel dont la façade fut heureusement conservée.

 

120 m d’immeubles de style post haussmannien

Ouverte en 1897 sur l’emplacement du passage des Deux-Nèthes, élargie et classée dans la voirie parisienne, en 1899, la rue Cavallotti reçut le nom du poète, auteur dramatique et homme politique italien. Sur ses 120 mètres, les immeubles, de style post haussmannien avec une touche néo-Renaissance brique et pierre, ont été construits en trois ans par l'architecte Henri Cambon. C’est son grand œuvre. Il a conçu l’ensemble des immeubles pour différents propriétaires.

Nombre de halls d’immeubles de cette rue sont décorés de céramiques, à l’exemple de ce n°5 : panneaux de céramiques aux motifs colorés représentant des oiseaux, faisans et fleurs jaunes, bordés par des carreaux de faïence bleu et vert créés par les céramistes Ébel et Cazet 47 rue de Paradis.

 

Le rendez-vous des gangsters et du tout-Paris des artistes

Le restaurant le Perroquet vert (au n°7) recevait le tout-Paris des artistes et aussi des gangsters. La plus célèbre des habituées était la princesse roumaine Marthe Bibesco (1888-1973) qui fréquenta assidument ce restaurant dénommé Chez Tonton depuis 1900. C’est là qu’en 1924 elle jeta sur ses petits carnets les thèmes de son livre Le Perroquet vert, salué par Max Jacob ou Mauriac… En 1930, le nouveau propriétaire lui rendit hommage en rebaptisant son établissement. Au cours des décennies suivantes, on y croisait Pablo Picasso, Edith Piaf, Jean Gabin, Yves Montand ou Fernandel…

En 1907, l’établissement Vernin vins (situé au n°8) se veut restaurant des Lettres et des Arts. Picasso, Max Jacob, André Salmon, Roger Karl le fréquentent, ainsi que les artistes de la Villa des Arts et les comédiens du Théâtre des Arts (futur théâtre Hébertot). Dans les années 1950, il devient La Table d’hôtes nommée  aussi L’Arlequin, à la clientèle très masculine. Un critique note alors qu’il « tente de séduire une clientèle internationale mais l’interdiction de danser entre hommes ne facilite pas la vie de ce genre d’établissement ».

Au 17 rue Ganneron, juste en face du 8 rue Cavallotti, Le Cavallotti, nommé aussi La Mangeoire est tenu par Jacqueline et Henri. Eh oui, c’était la rue Cavallotti!

 

Des commerces qui façonnent le quartier

On dit que « la forme d’une ville change plus vite que le cœur des humains ». A Paris où le bâti est souvent ancien, ce sont les commerces du rez-de-chaussée qui changent la forme de la ville. Récemment encore, on a vu disparaître la boulangerie-pâtisserie du n° 12 installée depuis une centaine d’années…

« Je me souviens des commerces de la rue Cavallotti, des deux épiceries de chaîne : Paris-Médoc et La laiterie parisienne, de Léone marchande de corsets du n°3, du magasin de machines de bureau  AMT, des deux boucheries, une de chaque côté de la rue, du magasin Raymonde frivolités au n°7, du bijoutier-horloger au n°6, de la teinturerie L’Oiseau blanc au n° 9, du café-charbons au coin de la rue Camille-Tahan, du beau fleuriste installé au n°13 qui existait encore en 1999, de la pharmacie  à l’ancienne, la Pharmacie de l’Hippodrome au n° 15, boiseries et bocaux de couleur en vitrine, tenue par Mme Bouteille, avant sa reprise par Mme Barraud pendant des années qui ferma peu de temps après son départ », raconte un riverain.

Sur la droite, en impasse sur le cimetière, la rue Camille Tahan, ouverte en 1899, a reçu le nom du propriétaire du terrain. Elle offre une jolie perspective sur le cimetière de Montmartre à travers une grille couronnant le mur du fond. Pierre Boulet, descendant de Camille Tahan, raconte : « L’histoire remonte aux années 1860. Camille Tahan était un industriel qui installait les rampes à gaz. Mon aïeul s’est peu à peu enrichi. Il avait une maison plutôt cossue à République et une villégiature à Chatou, cette aisance financière le conduisit à acheter plusieurs terrains. Son fils Auguste Camille Tahan ne fut pas très sérieux. Habitant au 1 rue Houdon, il ne travaillait pas, vivant de l’héritage de son père. Quand il voulut vendre à des promoteurs les terrains de la rue Ganneron, la ville exigea qu’il construise une rue. Dans l’acte de vente, il obtint que la rue ne soit jamais débaptisée. C’est ainsi que la rue Camille Tahan est née. »

Au n°3 Roland Dorgelès (1885-1973), écrivain et journaliste, auteur des Croix de bois s’installa avant 1914. Il y revint en 1919. Dans la cour du n°4, des écuries, dont les stalles sont encore visibles du cimetière Montmartre, abritaient les chevaux de l'Hippodrome créé en 1899, au coin de la rue Caulaincourt et de la rue Forest. En 1911, l’Hippodrome fut transformé en cinéma par Léon Gaumont. Au fond de la cour, des ateliers d’artistes : le peintre François Zdenek Eberl (1887-1962) y travailla de 1920 à sa mort. Il illustra les livres de Dorgelès, Carco et Pierre Mac Orlan. Se trouvait aussi l’atelier d’Auguste Brouet (1872-1941), peintre-graveur et auteur de nombreux dessins de l’avenue de Clichy et des alentours ; peut-être aussi celui du sculpteur Brancusi. C’est au n°8 qu’en 1933, au 6ème étage, meurt solitaire le poète satirique Jehan Rictus (1867-1933) qui fit ses débuts de chansonnier-poète au cabaret montmartrois des Quat’z’Arts. 

 

La rue Capron et les marchandes de quatre saisons

Ancienne impasse d'Antin ouverte en 1825, la rue Capron prolongeait la voie dénommée en 1870 rue Forest. Cette voie pavée et anciennement privée (elle est passée dans le domaine public en 2004), qui porte le nom d'un propriétaire, est bordée par des constructions disparates et par le mur du garage Rédélé. Jusqu’aux années 1960, des marchandes de quatre saisons y installaient leurs petites voitures. Certaines étaient remisées dans les anciennes écuries du 4 rue Camille Tahan.

Elle présente aujourd’hui encore quelques maisons de ville. Dans la partie basse, le n°2 est un immeuble néo-montmartrois construit à la fin du siècle dernier. En 2016, pour empêcher le stationnement sauvage des motos, les riverains ont aménagé le trottoir côté pair en un espace végétalisé, inauguré par la ministre du travail…

 

Bandit de grand chemin et agent secret

Du côté des girouettes, c’est dans l’Hôtel de Bordeaux (n° inconnu) qu’en 1868 décéda Jacques Armand Guerry de Mauregard qui se disait baron Maubreuil d’Orvault alors âgé de 85 ans. Né dans une famille impliquée dans la chouannerie et les guerres de Vendée, il sera lié à Jérôme Bonaparte sous le Consulat et l’Empire. Aventurier, duelliste, joueur, il combattit en Allemagne et en Espagne tout en spéculant sur les fournitures aux armées. Tenta-t-il d’assassiner Napoléon en 1814 comme il le prétendit ? On le retrouva ultra-royaliste sous la Restauration et même bandit de grand chemin ou agent secret, dérobant or et pierreries à la princesse de Wurtemberg, nièce du tsar et épouse de Jérôme Bonaparte… Entre deux procès, il souffleta Talleyrand en 1827. On perd ensuite sa trace. Peu avant sa mort, il épouse une riche demi-mondaine qui veut donner un beau nom à son enfant. Faire une fin rue Capron !

 

Le luxe aux Batignolles

Du côté de l’artisanat, se trouvait au n°13 un de ces ateliers d'où sortirent, dès 1849, les premières malles Moynat, référence incontournable à l'époque des articles de voyage, fabriquées aussi au 65 rue Balagny (aujourd’hui rue Guy-Môquet) puis dans l’atelier-usine 15 rue Coysevox, immeuble industriel dont il reste le portail. Le luxe aux Batignolles.

Au n°15, derrière une grille, un vaste ensemble immobilier construit dans la première moitié du XIXe siècle est surtout composé de petits logements. Passé un porche, on découvre une vaste cour qui donne sur le fond de l’impasse de la Défense. Dans cette cour éclairée par un bec de gaz furent tournés quelques films dont Les allumettes suédoises en 1995 d’après Robert Sabatier.

Du côté des arts, est déclarée le 26 novembre 1914 la création, au n°17, de la société La Renaissance : siège social 17 rue Capron chez Lucien Marchandon peintre, commissaire Maximilien Chevalier peintre 74 rue Ménilmontant.

Le n°17-19 garde le souvenir de Georges Clemenceau (1841-1929) qui s’y installa en 1870 chez un ami. Il était encore à cette adresse quand, maire du XVIIIe arrondissement, il ouvrit à la fin de la guerre de 1870 un petit dispensaire rue des Trois Frères.

Au n°27, une maison de ville avec jardinet, à l’image des n° 21,23 et ; 27, était le domicile du compositeur Charles-Gaston Levadé (1869-1948), élève de Jules Massenet, Grand prix de Rome 1899.

 

Un immeuble de grand standing au charme contemporain

Voie privée qui, partant de la place Clichy, zigzague jusqu’au passage Lathuille, le passage de Clichy a été primitivement nommé Saint-Pierre. Il reçut en 1873 le nom du boulevard voisin. La partie sud a peu changé dans les dernières décennies. Très étroit et coincé entre des immeubles construits dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il est très sombre, les seules lumières étaient celles des enseignes de la sortie discrète des hôtels de la rue Forest. On regrettera la destruction de leurs marquises. L’aspect change considérablement après le premier coude. L’immeuble Le Millenium, présenté en 2002 comme un immeuble de grand standing au charme contemporain, a été édifié passage de Clichy, passage Lathuille et rue Capron en retrait de l’alignement originel, après destruction des ateliers ou lavoirs industriels.

Le passage élargi est plus lumineux, les immeubles préexistants sont passés du statut d’immeubles placards (très peu profonds) délabrés dans un quartier sordide à celui d’immeubles anciens ensoleillés dans un quartier tranquille (Alexandre Bélémi). Même l’arrière de l’ensemble d’immeubles haussmanniens édifiés du 128 au 130 boulevard de Clichy par Armand Franck en 1884 pour une grande banque retrouve meilleure allure.

Au n°10 bis – on le rejoint par le 4 avenue de Clichy – se trouvent les ateliers et maison-mère des Pianos Nebout, maison fondée en 1912. On y restaure et répare des pianos de grande marque (Pleyel, Steinway) et y propose à la vente des instruments anciens et neufs de qualité. Quatre générations d’artisans-facteurs et de musiciens s’y sont succédé, perpétuant une tradition vivante de l’artisanat d’art. Depuis 2007, la maison Nebout est labellisée Entreprise du Patrimoine vivant.

Le passage Lathuille est une des plus anciennes voies du quartier des Grandes Carrières. Elle prolonge après un coude le passage de Clichy jusqu’à l’avenue de Clichy. Son nom vient du célèbre restaurant du Père Lathuille qui se trouvait avenue de Clichy.

D’anciens ateliers côtoient aujourd’hui des immeubles réhabilités aux façades en camaïeu de jaune et des immeubles contemporains. Avec la construction de l’immeuble Le Millenium, le passage a perdu la trace du relais de poste et du lavoir qui s’y trouvaient au XIXe siècle.

 

La résistance de la barrière de Clichy

Précédemment impasse Capron et antérieurement impasse d’Antin, l’impasse de la Défense prit en 1877 ce nom en souvenir de la vaillante résistance de la barrière de Clichy en 1814. Au fond de l’impasse rénovée aux pavés lumineux, au n°6 le long du square des Deux-Nèthes, s’est ouvert le BAL. Cette galerie, lancée par l'association des Amis de Magnum et présidée par le photographe, Raymond Depardon, est dédiée à l'image documentaire. L’histoire du lieu, ouvert en 2010, est insolite : dans les années 1930, Chez Isis était une guinguette-salle de danse, prisée de la communauté italienne, mais aussi un « hôtel d’amour » où l’on venait s’encanailler. C’est en son souvenir que ce lieu culturel s’appelle Le Bal.

 

Une des voies les plus misérables de Paris

L’impasse des Deux-Nèthes est une voie privée et pavée qui s’orne de quelques maisons aux volets colorés avec vue sur le square des Deux-Nèthes. Elle s'est d’abord appelée Béranger. En 1877, elle prit le nom de l'ancien département français créé, de 1801 à 1815, dans les Flandres, arrosé par la grande et la petite Nèthes. C'était en 1872 l'une des voies les plus misérables de Paris. Et pourtant, il y circulait beaucoup d'argent : en effet, au n°5, au fond d'une cour, elle abritait l’un des plus grands tripots clandestins de la capitale… dans une chambre secrète d’une habitation en planches recouverte de cartons bitumés. La police y trouva des gens du meilleur monde, l’un d’eux venait de perdre 107 000 francs, soit 70 années d’un salaire ouvrier. Clichy terre de contrastes…

 

Hégésippe Moreau, un poète critiqué par Baudelaire

De la rue Ganneron à la rue Pierre Ginier, on trouve la rue Hégésippe Moreau, anciennement rue de la Villa des Beaux-Arts. La seconde partie de la rue, ouverte plus tard, s’appela un temps rue Hégésippe Moreau prolongée. Elle avait pris en 1889 le nom du poète (1810-1838), disparu à 28 ans, critiqué par Baudelaire (L’Art romantique) qui en parle en des termes peu élogieux « poncif romantique » et « poncif dramatique ». 

Philippe Limousin, qui habite à deux pas, se souvient de la marchande de journaux qui avait quelque chose de Simone Signoret, de Louis Ducreux, vieux monsieur qui sortait du 10 rue Hégésippe Moreau : en 1983, il venait, pour Bertrand Tavernier, d’incarner le vieil artiste-peintre d’Un dimanche à la campagne après une belle carrière au théâtre et au cinéma commencée au milieu des années 1930. Il avait été aussi musicien, compositeur, parolier (La rue s‘allume), directeur des opéras de Marseille et Monte-Carlo et du grand Théâtre de Nancy.

Sur 40 mètres, deux épiceries  vendent des produits  d’ailleurs : au 9 Comme en Pologne, au 21, La Vendimia d’Espagne.  

Au n°11, depuis très longtemps, depuis la construction de l’immeuble peut-être, se sont succédé des cafés-restaurants. C’était dans les années 1940, un bois-charbon tenu par monsieur Antoine. Comment ne pas citer, parmi d’autres, Chez Eusebio restaurant espagnol traditionnel où, de 2002 à 2010, loin des bars à tapas, on se régalait des plats espagnols et galiciens préparés par Carmen ?

Au n°15, la Villa des Arts, construite par Cambon en 1890 comme l’immeuble voisin, mérite à elle seule un article. (sur declic1718.org, taper Villa des arts sur le cartouche en haut. Consulter aussi le site de l’association d’artistes La Ville A des Arts.)

Au n°19, un bâtiment industriel en briques fut, pendant de nombreuses années, le siège de l’agence Magnum-Photo coopérative de photographes d’envergure mondiale fondée en 1947. Un panneau administratif annonce d’importants travaux : le bâtiment sera surélevé de trois niveaux.

Au n°24, à l’angle de la rue Ganneron, COGEDIM a livré en 2013 l’immeuble La Factory, construit à l’emplacement d’entrepôts appartenant aux glaces Fischer, inventeur du fameux Mystère, glace vanille au cœur de meringue recouvert de praline.  

 

Contourner le cimetière de Montmartre

Un fragment de l’ancien chemin de Monceau à Montmartre, dénommé chemin de la Hutte aux Gardes, puis rue des Carrières, tracée sur le plan cadastral de 1825, la voie qui contourne le cimetière Montmartre prit en 1875 le nom du banquier et député Hippolyte Ganneron. On connait de lui une statuette, portrait - charge de Daumier, un des 36 bustes des Célébrités du Juste milieu de la Monarchie de juillet. 

Au n°6 un café restaurant mêle avec bonheur des styles différents : colonnes rouges des années 1930-50 à l’extérieur, ambiance brasserie des années 1900 à l’intérieur, et un plafond couvert d’affiches de cinéma. Brassens demeura au n°7 en 1967. Dans la cour, une belle ferronnerie au premier étage.

De novembre 1898 à juillet 1899, l'écrivain Louis-Ferdinand Céline (1894-1961), alors âgé de 4 ans, a vécu dans l’immeuble du n°9. Est-ce pour cela que son roman Voyage au bout de la nuit débute et finit place de Clichy ? Non sans doute… En 1931, Louis-Ferdinand Céline était médecin à Clichy-la Garenne, qu’il nomme La Garenne-Rancy dans Le Voyage.

Au n°12, l’adresse n’a gardé les traces ni d’un ancien couvent où aurait habité Cambacérès consul en 1799, ni du séjour, en 1880, à son retour d’exil, de Jean-Baptiste Clément (1866-1903), ce chansonnier révolutionnaire, auteur du Temps des cerises.

Au n°17, dans les années 1960, se trouvait un bar-restaurant La Mangeoire « avant tout restaurant de nuit mais aussi bar-discothèque, possède néanmoins une clientèle masculine fidèle ». Encore cité en 1975 dans Lavender, International Gay Guide édité à Londres.  

En 1884, le peintre Toulouse-Lautrec s’installe et peint au n°22 chez son ami Rachou. Aux n°23 à 29, un immeuble de pierre et de brique du début du XXe siècle de Hodanger et Lecoq affiche au fronton le souvenir des ateliers Luce, spécialisés dans la préparation et le stockage de préparations alimentaires, notamment pour son restaurant de la place de Clichy  Réhabilité, il héberge désormais 44 logements sociaux.

En 1880 une école professionnelle et ménagère pour jeunes filles remplace au n°24 une ancienne ferme. En 1959, elle deviendra un collège technique puis en 1993 le Lycée d’arts appliqués Auguste Renoir.

 

Le point culminant des Batignolles

L’ancienne impasse des Moulins - un plan de 1834 montre 3 moulins au sommet d’une butte artificielle de débris de carrières : le moulin de la marmite, le moulin des prunes, le moulin de boute au feu est le point culminant des Batignolles. Elle prend en 1891 le nom d’impasse Hélène. Le temps des moulins est révolu, voici celui des noms des propriétaires lotisseurs ou de leurs filles ou de leurs épouses. En 1950, elle prend son nom actuel de rue Pierre Ginier d’après un peintre qui vécut là. 

« Je me rappelle qu’avant l’arrivée du frigo en 1957-58, une voiture à cheval s’arrêtait en haut de la rue, pour livrer des pains de glace. Le savoyard, comme on l’appelait, les détaillait en briques que l’on mettait dans la bassine où l’on conservait le beurre. Dans les mêmes années, les chiffonniers renversaient les 2 bacs de poubelle pour les trier avant d’y remettre ce qu’ils ne gardaient pas. », se souvient Pierrette Mani, adhérente de longue date de déCLIC 17/18.

Au n°4, se trouvait le théâtre Moncey auquel le Journal de déclic 17/18 a consacré un article dans le n°33 printemps-été 2018 (consultable sur declic1718.org).

Un garage occupait les n°5 et 7 jusqu’au début des années 2000, ses exploitants répondaient au beau nom de Neige. Bouygues y construisit un immeuble de qualité après qu’un premier projet néo-montmartrois eût été retoqué. On notera le petit jardin du rez-de-chaussée : derrière ses grilles, en saison, le jasmin embaume.

Au 7 rue Pierre Ginier, voici l’entrée de la villa Pierre Ginier. Cette voie de 35 mètres de long, longtemps partie de la rue Pierre Ginier, reçut son nom actuel en 1950. Depuis qu’elle est close de grilles, on ne peut plus l’emprunter pour rejoindre la rue Etienne Jodelle.

Cette voie en forte pente, ouverte en 1900,  fut dénommée alors square de l’Hippodrome, par proximité sans doute avec l’Hippodrome du boulevard de Clichy En 1907, elle prit le nom d’Etienne Jodelle, poète, dramaturge, organisateur des fêtes du roi Henri II, un des sept de La Pléiade.

Un document représentant l’immeuble du 3 square de l’Hippodrome fait partie d’une série L’architecture moderne à Paris Concours des façades de 1901, organisé par la Ville dans un souci d’émulation de 1898 aux années 1930.

L’architecte du 3 est Pierre Bossis. La photo est prise d’un terrain vague agrémenté d’un bec de gaz. C’est là que sera construit en 1904 l’immeuble du n°4 par Henri Cambon, comme l’immeuble voisin du 13 rue Hégésippe Moreau. D’autres immeubles de cette rue n’arborent pas le nom de l’architecte mais les immeubles des n°5,7 et 9 ressemblent fort à des productions d’Henri Cambon : anonymat choisi ou pastiche ?

Au n°3 vécut et travailla le peintre Jean-Puy, ami de Matisse avec qui il expose au Salon d’automne en 1905. Ambroise Vollard, qui avait découvert Picasso, lui achète 200 tableaux et le prend sous contrat. Drôle, discret, antimilitariste, anticlérical, bon vivant mais sans excès, aimant les femmes sans en faire des objets, fidèle en amitié, fuyant la vie urbaine, sensible et sensuel. Il est exposé dans de nombreux musées de province, comme à Roanne où il naquit en 1876 mais aussi à Moscou et à Saint-Petersbourg.   

Les deux immeubles des n°7 et 12 avec leur petite façade en retour sur l’avenue de Saint-Ouen encadrent la perspective de la rue Etienne Jodelle tels deux rideaux de théâtre. Ainsi, au n°12, cet immeuble, construit par A. Besdel, exemple du style post-haussmannien ou Belle Epoque qui profite de l'assouplissement des règles d'urbanisme de 1902 et 1903. En témoignent les balconnets en corbeille, les visages sculptés, les fleurs de pierre grimpant le long des colonnes et des corniches...

Philippe Limousin

Date de publication : 
16 août 2022